vendredi 16 novembre 2007

Quelques coups d’ombrelle… (5/6)

Résumé des épisodes précédents : Nous sommes en Espagne, au milieu du XIXème siècle, non loin de Grenade en Andalousie. Le jeune journaliste Théophile Gautier, accompagné du Padre Miguel, fait la rencontre mouvementée de la très belle Dona Paquiro, prénommée Bibiana. Suite à un écart de langage il reçoit un violent coup d’ombrelle, mais se fait pardonner le soir même et découvre le tempérament de feu de la belle andalouse. Le lendemain ils se rendent aux arènes dans lesquelles apparaît le fameux Montès, entouré de son quadrille..

Episodes précédents publiés le 18/10, le 25/10, 01/11 et le 8/11.

Quand le combat commença, Gautier s’étonna de la vulnérabilité des chevaux des picadors.
Les pauvres bêtes offraient leurs flancs aux cornes des taureaux sans qu’aucun caparaçon ne vienne les protéger. Certains, effondrés dans une mare de sang, se prenaient les pattes dans leurs propres entrailles. Quatorze chevaux ce jour là furent éventrés. Un seul taureau en tua cinq.
Le Padre lui raconta aussi que lorsqu’un de ces mastodontes était cobarde, c'est-à-dire lâche, ou manquait de férocité, le peuple des arènes pouvait réclamer les banderilleras de fuego à l’Alcalde par ses vociférations, ses hurlements et ses trépignements.
C’est ce qui arriva d’ailleurs au troisième d’entre eux, qui ne trouva pas mieux que d’aller se coucher à l’ombre après quelques véroniques qu’il consentit à un jeune torero.
Tous les aficionados dans les tribunes se mirent à crier : « El fuego ! El fuego ! » En faisant un tapage d’enfer et en agitant un bout de tissu blanc pour demander que soit appliquée la sentence populaire.
« Regardez bien, amigo. Un banderillero va planter des baguettes d’artificier qui éclateront dans peu de temps au-dessus de la tête du taureau. Ca va le réveiller ! Et si cela ne suffit pas, nous réclamerons les chiens ! »
« Les chiens ? Répondit Gautier. Quels chiens ? »
« Vous verrez bien… » Se contenta de répondre le Padre.
Et il vit.
Le taureau refusant tout combat et repartant systématiquement à sa querencia avec une imperturbable opiniâtreté, eut droit encore une fois aux foudres des spectateurs. « Los perros ! Los perros ! ».Crièrent-ils comme des enragés. Seule la permission accordée par l’Alcalde put rétablir l’ordre et le calme.
Alors, d’une porte basse sortit une meute d’une vingtaine de chiens de race qui se ruèrent sur l’animal qui fit front. Il eut beau se défendre de cette soudaine attaque en en tuant cinq ou six qu’il projeta en l’air, il fut rapidement submergé par le nombre. Les chiens, dressés à cet exercice, étaient d’une ténacité incroyable ! Et quand l’un d’entre eux arrivait à planter ses crocs dans le cuir, il ne lâchait plus prise.
Mordu à l’oreille, le taureau eut beau cogner le chien contre les barrières, il lui fut impossible de s’en dépêtrer. Alors les hommes intervinrent en tranchant le jarret du taureau qui plia les genoux et s’effondra sur le sable où il fut achevé. Une mort sans honneur pour un animal sans courage qui sortit, tiré à la chaîne par un attelage de mules, sous une bordée de sifflets du public.
Le quatrième taureau fut pour le grand Montès qui déploya tout son art pour le vaincre.
Le Padre Miguel expliqua à son voisin quelques finesses qu’il n’aurait pas su voir : « Senor Gautier, vous remarquerez la façon de toréer de Montès. On appelle cela un style gitano. Il a les mains bien basses et il laisse aller son corps. C’est parfait. Et ce qu’il fait aujourd’hui est très rare. Peu de toréros osent s’entraver les pieds avec des fers pour combattre l’animal. Je crois qu’il n’y a que Pedro Romero de Ronda qui l’ait fait avant lui. Ou celui qu’on surnommait Pepe Hillo de Séville. Mais c’était il y a bien longtemps. Je vous parle d’il y a plus de cinquante ans. Profitez du spectacle, c’est unique ! »
L’estocade fut propre et rapide sans qu’il y ait eut à redire. Montès put faire son tour d’honneur sous les vivas en exhibant les deux oreilles du vaincu à la foule ravie.
« Heureusement qu’il ne s’est pas battu contre un éléphant d’Afrique, dit Gautier. Vous l’imaginez avec les deux grandes oreilles entrain de faire le tour de la piste ? Mais dites-moi, Padre : Pourquoi cet homme si talentueux n’exerce-t-il pas son art à Madrid ? Il n’a rien à prouver ici…»
Le Padre se rembrunit d’un coup : « La politique, cher ami, toujours la politique ! Il ne cache pas ses opinions carlistes. Il a pour ami Ramon Cabrera Grino. Ce qui lui ferme aujourd’hui les portes de Las Ventas, les arènes de Madrid, fief de notre royauté. »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Etant donné la qualité et la densité de cette histoire, et pour pouvoir la relire dans de meilleures conditions, vous serait-t-il possible, après la parution du dernier épisode, de mettre en ligne la totalité de cette nouvelle ?