jeudi 1 novembre 2007

Quelques coups d'ombrelle... (3/6)

Résumé des épisodes précédents : Nous sommes en Espagne, au milieu du XIXème siècle, dans un petit village proche de Grenade en Andalousie. Le Padre Miguel, prêtre du village, vient de reçevoir la visite d'une belle et jeune femme, prénommée Bibiana, qui lui demande en confession un service particulièrement important. Malgrè son ambarras, le prêtre se rend chez un de ses paroissiens qui loue des chambres à des voyageurs de passage.

Episode 1 publié le jeudi 18/10 et 2 le jeudi 25/10.

Le dimanche suivant, le Padre avait fait le voyage jusqu’aux environs de Grenade. Il était accompagné par un jeune homme dont les coups de soleil qui rougissaient sa peau trahissaient l’étranger qu’il était. Les deux hommes parlaient fort et faisaient de grands gestes. Ils longeaient des champs dans lesquels paissaient les taureaux à la robe d’un noir profond qui combattraient demain dans l’arène municipale. « Cet espace, disait le Padre, s’appelle l’arroyo. C’est un but de promenade et une coutume, que de venir contempler ces bêtes si paisibles aujourd’hui et qui demain se chargeront de férocité pour combattre à mort la plus grande espada d’Espagne, j’ai nommé le grand Montès. »
L’étr
anger regardait fasciné le troupeau qui se découpait sur fond de Sierra Nevada

Le Padre riait haut et fort quand il tomba nez à nez avec une jeune femme en robe de couleur qui lui barra le passage.
« Eh bien Padre ! Vous semblez bien gai ce matin ! »
L’homme feignit la surprise : « Dona Paquiro…Je suis ravi ! Il y a si longtemps… »
Puis, en désignant son compagnon, il ajouta : « Permettez-moi de vous présenter un ami qui nous vient de Paris… »
Les deux jeunes gens se dévisagèrent rapidement. La beauté de la jeune femme ne passait pas inaperçue..
Lui âgé d’une trentaine d’année, était d’une banalité physique affligeante. Plutôt petit et malingre, des cheveux longs et gras qui encadraient un visage à la barbe clairsemée, il contrastait avec la femme de race qui lui faisait face.
La padre enchaîna : « Savez-vous, très chère, que le senor qui m’accompagne est une éminente personnalité de monde littéraire parisien… »
« Je ne savais pas. » Répondit Dona Paquiro.
« L’ecclésiastique continua. Il a déjà publié des poèmes et des romans ! Et compte parmi ses amis, messieurs De Nerval, Balzac et Hugo ! »
Ce dernier nom fit réagir la jeune femme : « Hugo ? Dit-elle.Vous voulez parler de Victor Hugo ? Votre amitié avec cet homme vous honore, Monsieur… »
« Gautier. Théophile Gautier. Pour vous servir, Madame… »
« Mon Dieu ! S’écria l’abbé ; Je ne vous avais pas présenté. Monsieur Gautier est journaliste. Il fait un reportage pour un journal dont j’ai oublié le nom. »
« Enchantée. Mais que racontez-vous à vos lecteurs, senor Téofilo ? »
L’appellation fit sourire le jeune homme.
« Beaucoup de choses, Madame. Tout est tellement différent et…Pareil à la fois ! Mais tout tend à s’uniformiser et je le regrette. Alors je relate vos singularités car le jour où Grenade ressemblera à Paris, les voyages deviendront inutiles. Et il y a des domaines où j’ai tant à apprendre… »
« Lesquels par exemple ? » Demanda-t-elle.
« Les femmes, lui répondit-il. Si votre pays est à mon sens le pays des énigmes, les femmes y sont d’un mystère ! »
« Les femmes, dites-vous ? Mais nous sommes comme toutes les autres… »
Le Padre qui crut bon de changer de conversation : « Notre ami s’intéresse aussi à la corrida. C’est la raison de notre présence ici. Imaginez-vous, très chère, que notre ami proposait de lâcher les taureaux dans les rues pour qu’ils rejoignent seuls les arènes de la ville ! »
Les deux espagnols rirent de bon cœur.
« Vous êtes fou ! Monsieur…répondit-elle en s’adressant au français. C’est la chose la plus inouïe que j’aie entendue à ce jour. C’est vrai que vous avez beaucoup à apprendre. Et j’espère pour vous que vous vous y connaissez mieux en femmes qu’en taureaux… »
« Je ne peux pas vous dire, répondit Gautier, je n’ai jamais enculé de taureau. »
La violence du choc plia à angle droit l’ombrelle qui s’abattit sur sa tête. La jeune femme, offusquée, tourna les talons et s’en fut vers sa voiture qui l’attendait plus loin.
Le Padre Miguel ne savait pas quelle contenance adopter.
« Qu’avez-vous fait là ? Balbutia-t-il. Ce ne sont pas des choses qui se disent ! »
« Cette bosse me restera en souvenir, dit le français en se grattant la tête. La stupeur que j’ai pu lire sur son visage m’a largement dédommagé de cette avanie. »
« L’affront, dit le Padre, c’est elle qui l’a essuyé. C’est pourquoi vous irez vous excuser
auprès d’elle.»
« M’excuser, dit Gautier, il n’en est pas question ! »
« Dès ce soir, insista l’abbé. Ici vous risquez votre vie pour cet écart de langage. Si Dona Paquiro se plaint auprès de son mari, vous êtes un homme mort avant la publication de votre prochain article… »
Ces quelques paroles eurent le don de calmer subitement Théophile Gautier qui déclara : « Dans ce cas…Je vais vous écouter. »

A SUIVRE...

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